Salut, Je m’appelle Tabea, j’ai seize ans, j’habite à Fribourg.
L’art pour moi, c’est une communication entre son intérieur et le monde extérieur.
Aujourd’hui, j’ai rendez-vous avec une œuvre d’art de Boris Dennler, à Fribourg, qui se trouve devant l’eikon, l’école professionnelle des arts appliqués. Tu viens?
TABEA: J’ai pris le bus au boulevard de Pérolles et là j’arrive tout près il me semble. Je cherche l’œuvre d’art… Je crois que je la vois au loin!
Là, on est devant. C’est une voiture bleue, bleu pétrole, écrasée par une plaque de béton. Il y a plein d’autocollants dessus, de tags… C’est très intéressant comme concept.
Je fais le tour et je découvre la plaque d’immatriculation. Il y est juste écrit Fribourg; il n’y a pas de de numéro, ni de lettre. Enfin si, mais il y a écrit “table”, donc j’imagine que c’est fait pour être une table.
Les pneus sont écrasés; ils font presque partie du sol. Il y a des plantes, des herbes qui poussent sur la voiture. Ça m’a l’air très solide, très lourd et c’est vraiment une plaque de béton vissée sur la sur la voiture. C’est quoi comme marque de voiture? Voilà, c’est une Jaguar. Ok, waouh, luxe!
Je me demande comment est venue l’idée d’écraser une voiture de luxe avec une plaque en béton. J’ai presque l’impression que ça peut être un message climatique. Une voiture, en plus de luxe, société de consommation, Paf! écrasée par du béton. Ça peut faire passer un message de pollution, enfin un message pour arrêter la pollution.
C’est aussi rendu utile, parce que c’est une table pour les étudiants de l’eikon. Je me rappelle que quand j’étais petite et que je passais là devant, je croyais vraiment que c’était un accident et que les gens avaient juste la flemme d’enlever la voiture avec la plaque. Mais maintenant avec un regard un peu plus “grand”, disons, je trouve ça intéressant. Je trouve ça très curieux.
Je vais lire la notice qu’on m’a transmise: il s’agit d’une œuvre de Boris Dennler qui date de 2016 et qui s’appelle “Plaque en béton sur Jaguar écrasée”. C’est une installation réalisée en béton et avec une vraie Jaguar Sovereign.
Ça ne me dit pas dans quel but, ça ne me dit pas comment, ni où l’artiste a pris cette Jaguar…
Est-ce qu’il l’a récupérée d’une casse? Est ce que c’est sa vieille Jaguar dont il ne voulait plus… qu’il avait reçue d’une personne qu’il n’aime pas, donc il a décidé de l’écraser?
Je vais donc poser des questions à l’artiste.
BORIS DENNLER: Salut Tabea. Je vais tenter de répondre à tes questions.
TABEA: Comment est venue l’idée de faire ça? Et d’où vient cette Jaguar?
BORIS DENNLER: Alors l’idée de faire cette œuvre, c’était dans le cadre d’un concours de la Ville de Fribourg. Le thème du concours, c’était les tables du bourg: il fallait créer, imaginer une table qui puisse rassembler les habitants du quartier du bourg autour de la cathédrale de Fribourg, pour qu’ils puissent se rencontrer, manger, se faire à manger sur la table. Cette œuvre est donc le résultat de ce concours que j’ai gagné.
Et d’où vient la Jaguar? C’est un copain garagiste qui me l’a dégotée. Je lui avais dit que je cherchais une petite voiture pour faire une œuvre d’art… Et lui, il est arrivé avec une Jaguar de cinq mètres de long. Finalement, c’était une bonne idée. J’étais content qu’il me trouve ça pour pas trop cher.
TABEA: Et pourquoi la placer devant l’eikon?
BORIS DENNLER: Initialement, le projet était de mettre cette table dans le quartier du bourg, autour de la cathédrale. Mais le pont de la Poya venait d’être construit et beaucoup de places de parc ont disparu dans ce quartier-là, au bourg. Les autorités ont jugé pertinent de ne pas mettre cette œuvre qui symbolise vraiment la disparition de la voiture dans le bourg. Pour éviter de crisper davantage les esprits des commerçants et des habitants qui ont besoin de venir en voiture près de chez eux. Donc heureusement elle est maintenant à l’eikon: elle est vraiment bien là. Moi je suis très fier qu’elle soit devant une école d’art. Pour moi, c’est c’est la meilleure place qui soit à Fribourg.
TABEA: Est-ce que ça vous dérange que justement les élèves ou d’autres jeunes aient tagué la plaque en béton et la voiture et aient ajouté des autocollants?
BORIS DENNLER: Pas du tout, parce que pour moi cette oeuvre, elle doit vivre. Elle a une histoire. Si on lui ajoute des tags, des autocollants, des graffitis, c’est un plus en fait. Mais j’ai vu qu’il y a des phares cassés… il y a peut-être un petit peu d’abus… Mais si c’est des petites choses comme ça, des petites gravures, c’est pas grave.
TABEA: Est ce que ça a un lien avec le changement climatique, la société de consommation? Ça pourrait être un lien très intéressant, voulu ou non.
BORIS DENNLER: Évidemment un petit peu, parce qu’en fait, on venait de construire le pont de la Poya et pour moi, symboliquement, le pont de la Poya, c’est la plaque en béton, et la voiture, c’est la voiture qui a disparu du quartier du bourg. Donc le béton a écrasé la voiture. C’est un symbole un petit peu gros, mais je le trouve assez efficace. J’aime bien faire des œuvres un peu en lien avec ces problématiques. J’aime bien faire de l’upcycling et puis j’aime bien dénoncer la surconsommation.
TABEA: Pourquoi une Jaguar? Est-ce que c’est pour dénoncer le luxe abusé disons des marques de voitures?
BORIS DENNLER: Je trouve que c’est un symbole encore plus fort que si j’avais pris une Opel Corsa ou une autre petite voiture. Les Suisses roulent avec des énormes voitures qui pèsent très lourd, qui consomment beaucoup, qui polluent beaucoup, qui laissent beaucoup de pneus sur les routes parce qu’elles ont des pneus très larges. Donc oui je dénonce un peu cela et finalement je trouve très bien de peut-être faire prendre conscience aux gens qu’on peut très bien vivre un peu plus simplement sans forcément avoir la dernière voiture à la mode, énorme, qui consomme beaucoup.
TABEA: Est ce que vous avez pu faire ce que vous voulez vraiment, ou est ce que vous avez eu des contraintes de l’école ou de la Ville?
BORIS DENNLER: Les contraintes, c’était le concours. J’y suis allé bille en tête, sans trop réfléchir. C’est vrai que durant ces concours, on réfléchit si ça va plaire à telle ou telle personne. Et là, vraiment, je me suis fait plaisir. C’était un peu un délire et je ne pensais vraiment pas être pris. Et voilà, J’étais très content qu’on me suive dans mon délire. Ensuite, à l’eikon, ils étaient super contents de l’accueillir. Je l’ai installée moi-même avec un garagiste-dépanneur qui a amené la voiture de chez moi jusqu’à l’eikon. C’était épique!
Bye bye Tabea. Et bonne suite à toi!
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“ART’S COOL autrement dit “Art is cool”!
C’est un rendez-vous avec une œuvre d’art contemporain suisse regardée, expertisée et questionnée par des jeunes gens auxquels répond à sa façon l’artiste qui a réalisé l’œuvre. C’est simple, non?
Durant cette deuxième saison, notre podcast vous invite à des explorations hors des lieux habituels d’exposition, le plus souvent en plein air! Chaque semaine, ou presque, nous découvrons ainsi ensemble une création artistique située dans l’espace public quelque part en Suisse.
Aujourd’hui, il a été question de Plaque en béton sur Jaguar écrasée de Boris Dennler, examinée par le regard curieux de Tabea. Ne manquez pas d’aller découvrir en vrai l’œuvre dont il était question à Fribourg, devant le bâtiment de l’eikon, Route Wilhelm-Kaiser 13.
Collectionnons l’art contemporain avec nos oreilles! Le site artscool.ch rassemble tous les épisodes diffusés depuis l’automne 2021. Une collection variée et grandissante! Vous y trouverez aussi les portraits des jeunes aficionadas et aficionados d’art contemporain, les mini bio des artistes interviewés ainsi que les photos des œuvres.
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Le podcast ART’S COOL est réalisé et diffusé grâce au précieux soutien de la Loterie Romande, du Pour-cent culturel Migros, de la Fondation Oertli, de la Fondation Sandoz, des cantons d’Argovie, Bâle-Ville, Berne, Glaris, Grisons, Obwald, Saint-Gall, Soleure, Thurgovie, Valais, Vaud, Zoug et Zurich, ainsi que des villes de Genève, Winterthur, Yverdon-les-bains, Zoug et Zurich.
Avec les voix de Florence Grivel pour la version française et de Stephan Kyburz pour la version allemande.
Musique et habillage sonore par Christophe Gonet.
C’est une production Young Pods.