Salut, je m’appelle Nanou. J’ai dix-huit ans et j’habite à Sainte-Croix.
Pour moi, l’art c’est la capacité de créer, de ressentir et d’exprimer quelque chose auprès des gens.
Salut, je m’appelle Vibee. J’ai seize ans et j’habite à Yverdon-les-Bains.
L’art, pour moi, c’est beaucoup d’émotions.
Aujourd’hui, j’ai rendez-vous avec une œuvre de Chloé Delarue, au Collège des Rives à Yverdon.
NANOU: Vibee, où nous trouvons-nous précisément?
VIBEE: On se trouve dans une zone assez industrielle, juste devant le Collège des Rives. Il y a pas mal de bruit; il y a beaucoup de voitures qui passent.
NANOU: On est dans la cour d’école. Il n’y a pas énormément d’infrastructures, à part des tables en béton très carrées. Il n’y a pas énormément de choses qui attirent le regard, à part potentiellement une œuvre d’art. On va s’en approcher, car c’est une œuvre d’art très très lumineuse qui nous attire un peu comme des papillons de nuit.
VIBEE: Ouais, allons-y!
C’est intéressant de voir qu’il y a beaucoup de couleurs différentes sur cette œuvre qui ressemble à pied…
NANOU: Un très très grand pied lumineux que nous avons là! Étonnant de voir un très grand pied lumineux dans une cour d’école. Euh, comment pourrions-nous le définir? Il doit faire trois, quatre fois ma taille, c’est à dire cinq ou sept mètres. Et il y a des zones de couleurs qui définissent comme une carte d’un pied. Ce qui m’est venu directement en tête, sans réellement avoir de de justification à propos de ça, ce sont les zones en acupuncture ou les zones qu’il faut masser. Même quand l’œuvre est éteinte, on remarque les zones composées par les néons, qui font comme de petits pays sur un pied.
VIBEE: Ce pied pourrait représenter ce pas qu’on fait vers l’école quand on arrive dans le collège… ou autre chose peut-être…
NANOU: C’est le moment maintenant de prendre la feuille d’information de cette œuvre, sa petite carte d’identité personnelle… Vibee, tu n’as pas envie de lui donner un nom à cet énorme pied?
VIBEE: Francis!
NANOU: Eh ben, c’est pas Francis! C’est TAFAA – SIGNAL ou aussi Le Chant des lucioles. qui a été créé par Chloé Delarue. L’œuvre a été réalisée en 2022. C’est une installation en acier galvanisé, avec des néons, du lierre et des transformateurs. Ses dimensions sont de 7m x 2m x 40 cm… Donc on avait raison, c’est à peu près sept mètres!
Le terme Le Chant des lucioles ne correspond pas tout à fait… Je ne vois pas vraiment un chant avec ce pied.. Et le fait que l’installation ait du lierre crée un rapport entre le côté naturel et le côté industriel.
Du coup, on pourrait poser cette question à Chloé Delarue: pourquoi avoir mis du lierre sachant que c’est une plante invasive, qui va du coup potentiellement envahir son œuvre au bout d’un moment? Et pourquoi mettre cet élément naturel dans une œuvre si industrialisée?
VIBEE: Et aussi pourquoi utiliser le terme Chant des lucioles au lieu de juste “La lueur des lucioles” peut-être?
NANOU: Et on parle beaucoup du deuxième nom, mais on n’a pas parlé du premier: TAFAA – SIGNAL. Que veut dire TAFAA?
VIBEE: Pourquoi un pied?
NANOU: Le fait que je pense à de la réflexologie, ça vient de ces zones de couleurs différentes? Est-ce que c’est vrai que c’est faux?
VIBEE: Ce panneau est-il inspiré de Las Vegas? De ces grands panneaux lumineux qui sont un peu la signature de la ville?
NANOU: Pourquoi est-ce que cette œuvre est placée à l’entrée de la cour? En tout cas, à une des entrées?
CHLOÉ DELARUE: Salut Nanou, salut Vibee.
Merci beaucoup pour vos questions. Je vais tenter d’y répondre. Je me suis permise de regrouper certaines questions ensemble.
Première question: Pourquoi avoir mis du lierre, plante invasive qui va potentiellement envahir l’œuvre et la recouvrir? Et pourquoi mettre de la nature dans une œuvre si industrielle? Effectivement, le lierre est utilisé ici pour ses propriétés invasives, dans l’idée que ça va compléter l’œuvre. Au fur et à mesure que le temps va s’écouler, le lierre va s’infiltrer, se frayer un chemin et va devenir d’une certaine manière, un marqueur temporel, une espèce de sablier. C’est important aussi qu’il y ait un contraste entre ces notions d’organique, de vivant et de choses plus manufacturées ou industrielles. Et cette “nature” amène une forme d’aléatoire, d’inconnu, qui me semble nécessaire.
Pourquoi le “Chant des lucioles”, pourquoi “TAFAA – SIGNAL” et que veut dire “TAFAA”? TAFAA, c’est un acronyme qui veut dire “Toward Fully Automated Appearance” et qui signifie un français “vers une apparence entièrement automatisée”. Toutes les oeuvres que je produis apparaissent sous cet acronyme, qui est toujours suivi d’un sous-titre TAFAA – SIGNAL et (Le Chant des lucioles).
TAFAA pour moi c’est une sorte de territoire de pensée assez mouvant où j’observe la façon dont interagissent la technique et le vivant. Ce qui m’intéresse et m’interroge particulièrement aujourd’hui, c’est la façon dont on crée des systèmes autonomes d’automatisation, par le calcul, les algorithmes, l’apprentissage neuronal, des choses comme ça, dans cette idée de reproduire les capacités de l’être humain d’une certaine manière.
Je reviens maintenant au titre, TAFAA – SIGNAL et (Le Chant des lucioles), qui est une manière poétique de suggérer la présence de cette œuvre comme un signe, un présage, ou un stimuli visuel qui interagit dans la composition de l’environnement qui l’accueille. Et “Le Chant des lucioles” évoque plus particulièrement l’apparition de la lumière de l’œuvre à la tombée de la nuit.
Les prochaines questions… Pourquoi un pied? Un pied pour une école: comment l’interpréter? Ces zones de couleurs définissent-elles des points d’acupuncture? Je vais être très précise sur la question du pied, car il ne s’agit pas d’un pied à proprement parler. C’est une empreinte de voûte plantaire qu’il faut voir dans son ensemble, avec les néons et le lierre. Les néons sont vraiment comme greffés à la structure et indiquent par leurs formes et couleurs différentes des parties de l’anatomie humaine. Cela est inspiré d’une carte de réflexologie plantaire, qui suggère la miniaturisation du corps humain et donc une façon d’accéder au corps par ces zones. Pour moi, c’est un objet allégorique qui a traversé le temps, qui a été interprété dans des cultures différentes à travers le monde, mais qui est resté fortement ancré, malgré la succession des époques modernes. Comme une médecine ancestrale qui existe encore.
Concernant cette question sur l’interprétation, le possible rappel à l’ordre m’a fait beaucoup rire… et je vous laisse d’ailleurs projeter sur cette œuvre ce que vous voulez y voir. Je pense qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise interprétation. Elle vous appartient tout autant qu’à moi.
Pour ma part, c’est plutôt l’imaginaire de l’accès au corps qui est représenté symboliquement ici, à travers cette empreinte de voûte plantaire, avec cette idée de trace, de mémoire, de passage qui traverse tout cela. Je réfléchissais à cet accès au corps, des premières dissections à la probabilité de reproduire un cerveau humain aujourd’hui: ça a toujours été un moyen d’accéder à la connaissance. Un moyen indispensable à l’évolution de notre espèce. Peut-être, de la même façon, le collège, lieu de transmission des savoirs, est tout aussi indispensable. Il s’agit donc d’une certaine manière d’une métaphore.
Prochaine question: Ce panneau lumineux fait-il référence à Las Vegas? et pourquoi est-il à l’entrée de la cour? Ce n’est pas une référence directe à Las Vegas, mais plutôt au paysage urbain illuminé par les enseignes lumineuses en néons que l’on peut voir à Las Vegas, à Hong-Kong ou ailleurs, et qui donne vraiment une singularité à la ville. C’est un signe distinctif qui rend vraiment unique ces environnements.
Les enseignes lumineuses en néons sont en train de disparaître. Le néon est vraiment devenu obsolète, car il est remplacé par des techniques de production en masse de système d’éclairage comme la LED, ce qui fait disparaître aussi un savoir-faire artisanal. J’aime l’idée que sur cette sculpture, chaque tube de verre a été manipulé par la main du néoniste et que son souffle est encapsulé d’une certaine manière dans chaque néon.
J’avais envie que le Collège des Rives ait son signe particulier, qui lui donne une visibilité différente, voire même une certaine étrangeté. Une dimension cinématographique, parce que lorsque l’œuvre est allumée le soir, elle donne une couleur assez particulière à l’environnement. C’est pourquoi j’ai choisi cet emplacement. L’idée est d’avoir un signe, un marqueur visible de plusieurs points de vue, qui fait la connexion entre le collège, le lac, le quartier, la circulation, les riverains… Quelque chose qui participe aux paysages, à cet îlot traversé de toutes parts.
Bye bye Nanou et Vibee!
Merci encore pour vos observations et questions. Je vous souhaite une très bonne suite!
ART’S COOL autrement dit “Art is cool”!
C’est un rendez-vous avec une œuvre d’art contemporain suisse regardée, expertisée et questionnée par des jeunes gens auxquels répond à sa façon l’artiste qui a réalisé l’œuvre. C’est simple, non?
Durant cette deuxième saison, notre podcast vous invite à des explorations hors des lieux habituels d’exposition, le plus souvent en plein air! Chaque semaine, ou presque, nous découvrons ainsi ensemble une création artistique située dans l’espace public quelque part en Suisse.
Aujourd’hui, il a été question de TAFAA – SIGNAL (Le Chant des lucioles) de Chloé Delarue, examinée par le regard curieux de Nanou et Vibee. Ne manquez pas d’aller découvrir en vrai l’œuvre dont il était question à Yverdon-les-Bains, à l’entrée du Collège des Rives. Cette installation fait partie de la collection d’œuvres d’art dans l’espace public yverdonnois, gérée par le Service de la culture de la Ville.
Collectionnons l’art contemporain avec nos oreilles! Le site artscool.ch rassemble tous les épisodes diffusés depuis l’automne 2021. Une collection variée et grandissante! Vous y trouverez aussi les portraits des jeunes aficionadas et aficionados d’art contemporain, les mini bio des artistes interviewés ainsi que les photos des œuvres.
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Le podcast ART’S COOL est réalisé et diffusé grâce au précieux soutien de la Loterie Romande, du Pour-cent culturel Migros, de la Fondation Oertli, de la Fondation Sandoz, des cantons de Bâle-Ville, Berne, Thurgovie, Vaud, Zoug, Zurich, ainsi que des villes d’Yverdon-les-bains, Zoug et Zurich.
Avec les voix de Florence Grivel pour la version française et de Stephan Kyburz pour la version allemande.
Musique et habillage sonore par Christophe Gonet.
C’est une production Young Pods (youngpods.ch).