Salut, je m’appelle Zelda. J’ai dix-neuf ans, j’habite à Lausanne.
L’art pour moi, c’est la plus belle manière de s’exprimer
Aujourd’hui je suis avec le peintre Till Rabus dans son atelier de Corcelles, dans le canton de Neuchâtel, tu viens?
ZELDA: Alors là je suis dans son très grand atelier assez impressionnant, assez génial. Bonjour!
TILL RABUS: Bonjour Zelda, bienvenue.
ZELDA: J’ai compris que tu utilisais des objets de la vie réelle, que tu prends en photo après les avoir mis en scène et qu’ensuite tu vas peindre…
TILL RABUS: Oui effectivement. J’utilise ce processus depuis que j’ai commencé à faire de la peinture. Peut-être parce qu’au début, je me suis plutôt intéressé à la photographie et à la vidéo. Je suis passé par tous ces stades avant de me décider finalement à faire de la peinture. J’ai conservé un peu ces pratiques de mes débuts, que je n’avais pas envie d’abandonner dans ma pratique de peintre.
ZELDA: Tu fais de la peinture qui est très photographique. Donc, finalement, on pourrait se demander: pourquoi peindre?
TILL RABUS: Pour moi, la peinture et la photographie sont deux médiums complètement différents. Je pense qu’avec le temps qu’une peinture demande pour sa réalisation – et malgré le fait qu’elle soit très figurative – dégage quelque chose de complètement différent. La photographie, pour moi, c’est un instantané qui est pris sur le vif, tandis que la peinture ça n’a rien à voir avec la réalité. On s’éloigne de la réalité, malgré le fait que ça soit très figuratif.
ZELDA: Ce qui m’a intriguée c’est ce tableau et les croquis qu’il y a en dessous, parce que j’ai l’impression que tu as commencé avec un croquis fait sur ordinateur. Celui où on voit juste un cube avec des couleurs. Est-ce que tu commences toujours avec des croquis comme ça?
TILL RABUS: C’est un tableau. Je me suis inspiré d’un artiste qui s’appelle Victor Vasarely. Le croquis que que tu vois, c’est une impression d’un de ses tableaux. Lui, il a beaucoup joué avec les cubes dans l’espace, avec les ombres et les lumières pour former des formes. Du coup, on a l’impression qu’ils sortent un peu du tableau. Et j’ai réinterprété un de ces tableaux en utilisant des cubes de La Vache qui rit, des apéricubes, que j’ai trouvés en supermarché. Puis j’ai fabriqué un objet avec ces cubes de fromage. D’ailleurs, je peux te montrer l’objet, il est juste là.
Voilà. Alors il y a je ne sais pas combien de ces cubes dans des couleurs différentes: je les ai collés les uns aux autres pour former ce cube avec une des parties qui est excavée. C’est ce qui va donner l’impression qu’il y a un cube dans le cube, justement. Et puis ensuite avec l’éclairage que j’ai en studio, j’éclaire de façon à avoir des clairs-obscurs très marqués et je m’efforce de reproduire à peu près la forme originale du tableau de Vasarely. Ensuite, j’ai une photo qui va me permettre de faire le tableau avec les couleurs, les brillances et tout ça.
ZELDA: Tes idées, elles te viennent comment?
TILL RABUS: Au fait, c’est des associations d’idées. Je connais le travail de Vasarely parce qu’on a une sculpture à Neuchâtel qui était posée à la gare, mais qui est maintenant en bas à la place de Pury. Je la connais depuis que je suis enfant et je connais un peu son travail au travers des reproductions qui sont exposées dans le cabinet du dentiste à Cortaillod dans lequel j’allais. Puis, le simple fait d’avoir vu au supermarché des boîtes d’apéricubes avec toutes sortes de couleurs différentes, ça m’a donné l’idée de reprendre un tableau de Vasarely et d’utiliser ces cubes comme éléments de base. C’est surtout la forme cubique qui m’a inspiré, mais il y a quelque chose d’assez rigolo dans la réappropriation, dans le mélange des deux. Moi j’ai une technique qui est complètement figurative, mais chez lui c’est de l’abstraction totale. Donc voilà, je joue un peu avec l’ambivalence des deux, entre l’abstraction et la figuration.
ZELDA: Tu t’attends à ce que quand les gens regardent ton œuvre, ils pensent au tableau qui t’a inspiré?
TILL RABUS: Pas vraiment en fait, mais je pense qu’on y pense spontanément, parce que c’est des formes qu’on a déjà tous vues. Et puis il y a une référence dans le titre du tableau: je l’ai appelé “Vacharelli”. Donc c’était aussi un clin d’œil. Si on lit le titre du tableau, on va pouvoir comprendre de quoi il s’agit. Mais ce n’est pas le cas pour tous mes tableaux. Parfois, je laisse planer vraiment l’ambiguïté; je pense que c’est important.
ZELDA: En parlant de combiner des sujets assez différents, on a un autre tableau à côté avec des ballons fantômes dans une forêt. Qu’est ce qui t’inspire en premier? Est-ce que c’est la forêt? Est-ce que c’est les ballons? Ou l’idée de les mettre ensemble? D’où est-ce que ça vient?
TILL RABUS: C’est pareil que pour les cubes “Vacharelli”: je suis entré dans un magasin de costumes d’anniversaire et d’halloween et ils avaient toutes sortes de ballons. Ce sont surtout des ballons en forme de champignons qui m’ont inspiré; je me suis dit qu’avec ça je pourrais faire une très belle installation en forêt, entre le côté naturel et végétal de la forêt et ces ballons en plastique gonflés. Les ballons fantômes sont venus juste après, parce que je me suis dit que je pourrais faire un diptyque. Un tableau de nuit dans la forêt et un tableau de jour, avec deux styles de ballons différents. Mais à chaque fois, ces installations me prennent du temps pour créer les ambiances.
Mais après ça, c’est vraiment des tableaux d’ambiance. C’est pour ça que je les ai faits très grands aussi. Ce sont de grands paysages; on a une ambiance un peu à la “Alice au pays des merveilles” avec les champignons ou quelque chose d’un peu fantastique, alors que tout est très réaliste en fait. Puis avec les ballons fantômes, j’ai réussi à créer une profondeur de champ en dispersant les ballons du plus près au plus loin.
J’ai éclairé ça avec les phares de la voiture; du coup on a les premiers ballons qui sont très lumineux et qui ressortent. Puis, plus on va vers le fond du tableau et plus ils s’évanouissent dans le décor. Pour l’installation des deux scènes, j’ai planté des piquets en bois et j’ai scotché les ballons derrière. Après il y a eu un petit travail Photoshop pour enlever les bâtons qui soutenaient les ballons, pour qu’on ait l’impression qu’ils flottent vraiment dans l’espace.
ZELDA: Tu fais donc des œuvres hyper figuratives et qui ressemblent énormément aux photos que tu prends. Tu as la photo à côté et tu refais tout. Est-ce que tu projettes et qu’ensuite tu peins les contours? Comment ça se passe?
TILL RABUS: Oui, il y a des procédés de reproduction de la photo sur la toile. On connaît le quadrillage, tu sais tu quadrilles ta photo et puis tu fais les carrés un peu plus grands sur la toile. Mais ça, ça prend beaucoup de temps. Là, on utilise des rétroprojecteurs. J’ai un rétroprojecteur, c’est très simple, c’est un outil avec des miroirs et une lampe. J’y place la photo en plus petit et je la projette sur la toile pour pouvoir faire le tracé au crayon directement sur la toile.
Une fois qu’on a le tracé au crayon, je fais une première partie, une première couche, à l’acrylique. Ça me permettra d’avoir une couche de base. Parce que la peinture, elle se peint depuis très très longtemps souvent par couches pour obtenir un bon résultat pictural. Donc cette première couche, elle me permet vraiment d’avoir une accroche. Mais j’ai toujours la photo de mon modèle à portée de main, et c’est celle-là que je regarde pour pour évoluer dans le tableau.
ZELDA: Est-ce que quand tu peins, tu as du plaisir tout le temps ou est-ce que parfois tu te dis “allez aujourd’hui je fais ça” et tu n’en as pas forcément envie…?
TILL RABUS: Ça dépend des parties; il y a des choses qu’on préfère peindre que d’autres. Quand j’ai dû faire le fond pour de cette forêt, là où on a ces ballons en forme de champignons, il y a de multiples détails, les couleurs sont un peu terne et c’était assez laborieux. J’étais content d’arriver à la fin. Une fois que je dois m’attaquer au ballon plus coloré avec les reflets, j’ai plus de plaisir. Mais c’est aussi parce que j’arrive vers la fin du tableau. Quand on commence à voir le résultat final, on est plus enthousiaste.
ZELDA: Merci beaucoup pour l’accueil et pour toutes les réponses à mes questions, c’était super!
TILL RABUS: Merci Zelda pour tes bonnes questions et puis bonne journée!
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ART’S COOL autrement dit “Art is cool”!
C’est un rendez-vous avec une œuvre d’art contemporain suisse regardée, expertisée et questionnée par des jeunes gens auxquels répond à sa façon l’artiste qui a réalisé l’œuvre. C’est simple, non?
Durant cette troisième saison, notre podcast invite les jeunes à dialoguer avec les artistes dans leurs ateliers, quelque part en Suisse. Chaque épisode vous plonge au cœur de la création artistique à travers deux séquences complémentaires: d’abord une exploration immersive de l’atelier, puis une discussion autour d’un objet intriguant.
Aujourd’hui, Zelda a rencontré Till Rabus dans son atelier à Corcelles (Neuchâtel).
Collectionnons l’art contemporain avec nos oreilles! Le site artscool.ch rassemble tous les épisodes diffusés depuis l’automne 2021. Une collection variée et grandissante! Vous y trouverez aussi les portraits des jeunes aficionadas et aficionados d’art contemporain, les mini bio des artistes interviewés ainsi que les photos des œuvres.
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Le podcast ART’S COOL est réalisé et diffusé grâce au précieux soutien de la Loterie Romande, de la Fondation Ernst Göhner, de la Fondation Françoise Champoud, de la Fondation Leenaards, de la Fondation Oertli, de la Fondation Sandoz, des cantons de Berne, Valais, Vaud.
Interview et voix: Florence Grivel.
Musique et habillage sonore: Christophe Gonet.
C’est une production Young Pods.