Salut, je m’appelle Zelda, j’ai dix-neuf ans, j’habite à Lausanne.
L’art pour moi, c’est la plus belle façon qu’on a de s’exprimer.
Aujourd’hui j’ai rendez-vous avec l’artiste Camille Scherrer dans son atelier à Forchex (Ollon), vers Aigle. Tu viens?
ZELDA: J’arrive dans un tout petit village très joli, un peu perdu et j’arrive vers la maison de de Camille Scherrer. Il y a de la végétation partout, de la montagne, de grandes vallées, une fontaine.
CAMILLE SCHERRER: Salut les amis, ça va? Vous avez fait bonne route?
ZELDA: Très bonne route! Merci de nous recevoir. Je m’appelle Zelda.
CAMILLE SCHERRER: Salut Zelda, moi je suis Camille et je suis très contente de vous faire voir mon petit coin de route. On est un peu dans un non-atelier parce que mon petit village c’est presque tout mon atelier: je travaille une fois là, une fois là, une fois dessous, une fois dessus. Où je vais avec mon ordi, ça devient un peu mon atelier.
ZELDA : Et là, où est-ce qu’on est?
CAMILLE SCHERRER: Là, on est dans la magnifique pièce qui est « dedans/dehors »que j’adore! On se croirait un peu dans le train, dans le mob de mon enfance, pour monter chez nous. On a la vue sur les Muverans et puis on est comme si on était dedans mais on n’est pas dedans parce qu’on est dehors. On va boire un sirop, cassis du jardin, et discuter de tout ça.
ZELDA: Et donc tu n’as vraiment pas d’atelier à toi où tu travailles tout le temps et tu crées toutes tes œuvres.
CAMILLE SCHERRER: C’est vrai que c’est un peu bizarre, je n’ai pas l’atelier type du peintre avec des pinceaux sales et des trucs partout. Justement je suis un peu aux antipodes de ça, parce que mon travail est pas mal virtuel, donc il est comme éphémère puisqu’il n’existe pas. Il change aussi de forme à chaque projet. jJai un peu l’impression d’avoir besoin d’un atelier différent à chaque projet. Donc, c’est un peu difficile… alors je me suis dit que le mieux c’était peut-être de fabriquer un peu l’atelier qu’il faut chaque fois qu’il me le faut.
Ce qui est aussi particulier, c’est qu’il hybride ma vie de maman et ma vie d’artiste. Ces deux vies sont tellement collées l’une à l’autre que j’ai des barbies à côté de mon clavier…
Je vis bien avec tout ça, mais c’est vrai que c’est un peu un non-atelier dans lequel je travaille.
ZELDA: Tu travailles avec des médias hyper modernes, un ordinateur et tout, mais en même temps tu vis dans un trou hyper paumé, hyper loin de tout: je trouve ça super!
CAMILLE SCHERRER: Exact, tu as tout compris. C’est vraiment ce que je recherche, ce contraste: j’hybride la technologie avec des choses vraiment plus réelles: de la terre, du vieux bois, des papiers découpés, des choses comme ça. C’est toujours cette hybridation que j’adore. Et j’ai l’impression que mon lieu de vie ressemble aussi à ça. Il y a plein de “geekqueries”, mais elles sont entremêlées de vieux cheni.
Du coup, le fait d’être, comme tu dis, dans un trou perdu pour moi c’est juste c’est le bonheur. Et puis cet endroit a une particularité, vous l’avez peut-être remarquée, c’est qu’en fait on ne voit pas la civilisation. On est dans ce petit bled qui n’a pas changé de gueule depuis 1850, quand la dernière maison a été construite. Tout le reste, on ne voit que du vert. J’ai la sensation d’être dans un espace-temps différent du reste du monde et j’adore ça.
ZELDA: Est-ce que tu penses que tu pourrais faire le même travail ailleurs, dans un autre lieu, dans un appartement en ville ou dans un bureau par exemple, ou c’est vraiment ce lieu qui te convient?
CAMILLE SCHERRER: Je crois que ce que tu as dit est juste: j’ai besoin de ça pour fabriquer ce que je fabrique. Quand j’étais à l’ECAL, je m’étais déjà rendue compte d’un truc. En bas, à l’ECAL à Renens, je n’avais pas le cerveau qui fonctionnait correctement; je n’arrivais pas à avoir des idées et j’avais remarqué un truc un peu drôle et qui était peut-être juste dans ma tête, mais quand je prenais le mob, je prenais de l’altitude, j’arrivais vers mille mètres d’altitude et j’avais l’impression que mon cerveau fonctionnait mieux. Donc je crois que j’ai besoin d’une espèce d’ouverture, d’altitude, de pression atmosphérique, je ne sais pas quoi exactement, et j’ai besoin de ça pour que ça fonctionne. Donc vraiment, depuis toujours, j’ai cherché à aller sous les sapins, à filer un peu loin des gens puisque c’est là que je fabrique le mieux ce que je fabrique.
ZELDA: En cherchant un peu, je suis tombée sur une petite définition de ton art. “Hybridant traditions populaires et ingénierie high-tech, elle explore et manipule en virtuose les mondes virtuels entre algorithmes, capteurs et réalité augmentée, tout en restant ancrée dans le monde du concret et du sensible”: est-ce que tu trouves que ça représente bien ce que tu fais et que ça définit bien ton art?
CAMILLE SCHERRER: Ouais, je crois qu’on y est. J’aime vraiment bien toujours les interstices. C’est assez drôle, je pourrais être à fond geek puis me dire je suis bien là-dedans, mais j’ai l’impression qu’il manquerait toujours l’autre ingrédient. C’est vraiment une fine balance entre les deux mondes que je cherche. On m’appelle Heidi Geek: je trouve que ça fonctionne très bien.
ZELDA: Mais comment es-tu tombée dans ce monde hyper high-tech, parce que comme tu dis à l’ECAL, ce n’était pas développé. Comment ça t’est venu cette technologie?
CAMILLE SCHERRER: C’est assez drôle, parce que je n’ai pas eu, quand j’étais petite, des parents ou d’autres gens high-tech autour de moi. C’était presque le contraire: on a eu une télé très tard, on n’a pas eu d’ordinateur… En débarquant à l’ECAL, je croyais que je voulais faire du cinéma et je me suis d’abord inscrite en section cinéma. Mais il y avait ce manque de liberté dans le cinéma; c’était assez cloisonné, on nous demandait de faire du documentaire, des autoportraits, des trucs très complexes.Moi, j’avais envie de quelque chose de plus léger, de faire bouger des images simplement. J’étais attirée par ce côté magique que pouvait apporter l’image en mouvement et j’allais arrêter l’ECAL. Mais un prof m’a dit: “essaye la porte à côté, « media and interaction design ». En gros, le media and interaction design c’était une sorte de fourre-tout pour rassembler le champ très vaste de toutes les technologies de communication. Et cet espèce de bac à sable m’a vraiment ouvert une boîte de pandore de tout ce qu’on peut faire avec un ordinateur: on peut écouter ce que les gens disent, on peut souffler dans un micro, on peut faire voler des petits objets. Ce n’est plus seulement l’image qui est en mouvement, ça devient tout, le réel qui peut être en mouvement, par des petits artefacts. Et ceux-ci sont souvent drivés par des ordinateurs, par de l’électronique.
Et j’ai découvert deux trois trucs à l’ECAL et ça a été une espèce de coup de foudre. Après, j’ai passé des heures avec des algorithmes méga compliqués. J’étais nulle en maths à l’époque, mais je me suis dit: “attends, ça je veux le faire!”. Et ça m’a complètement décloisonnée; j’ai appris tellement de choses, mais un peu toute seule, beaucoup toute seule en fait. Il fallait un peu mettre les mains dans le cambouis.
ZELDA: Ta définition de l’art ,ça serait quoi?
CAMILLE SCHERRER: Ça c’est vraiment une question piège, on est d’accord? L’art, c’est juste regarder quelque chose et puis qu’au fond de toi ça fait quelque chose.
ZELDA: En ce moment, sur quoi est-ce que tu travailles?
CAMILLE SCHERRER: Alors en ce moment précisément je travaille beaucoup pour le futur hôpital des enfants au CHUV et c’est un challenge de fou. À la base, c’était un projet d’art dans un lieu public que j’avais remporté, pour créer une œuvre d’art dans l’entrée des urgences. J’ai fait toute une série de plots, comme si c’était des petits plots dans une chambre d’enfant, mais là ils sont géants et du coup on a l’impression d’être une souris dans une chambre d’enfant avec plein de plots partout. Les enfants peuvent jouer dessus, s’y asseoir… Ce projet a plu et du coup il a eu des extensions à l’intérieur de l’hôpital: ça veut dire que maintenant je suis en train d’aménager toutes les salles d’attente, de définir des couleurs, des sensations, des textures qui puissent faire du bien aux enfants. Je travaille par exemple maintenant avec le service d’oncologie pour les salles de soins aigus et donc pour des moments très compliqués pour les enfants; j’essaye de les mettre dans une espèce de bulle d’immersion qui visuellement les fasse complètement s’exporter, voyager… Donc ça c’est mon travail du moment: exporter, voyager et c’est un énorme challenge mais hyper hyper cool. Et je bosse beaucoup avec mes filles pour « crash tester » des choses. Elles sont tellement cool parce qu’elles sont vraiment radicales: si elles ne sont pas convaincues, elles ne vont pas me dire “ouais c’est pas mal, maman” elles vont dire juste “c’est deg!”. Et ça j’adore! Hyper trash et efficace.
ZELDA: En tout cas merci beaucoup pour ton accueil et pour tes réponses à mes questions, c’était hyper cool.
CAMILLE SCHERRER: Merci à toi! Trop cool de parler avec toi de tout ça.
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ART’S COOL autrement dit “Art is cool”!
C’est un rendez-vous avec une œuvre d’art contemporain suisse regardée, expertisée et questionnée par des jeunes gens auxquels répond à sa façon l’artiste qui a réalisé l’œuvre. C’est simple, non?
Durant cette troisième saison, notre podcast invite les jeunes à dialoguer avec les artistes dans leurs ateliers, quelque part en Suisse. Chaque épisode vous plonge au cœur de la création artistique à travers deux séquences complémentaires: d’abord une exploration immersive de l’atelier, puis une discussion autour d’un objet intriguant.
Aujourd’hui, Zelda a rencontré Camille Scherrer dans son atelier à Ollon (Canton de Vaud).
Collectionnons l’art contemporain avec nos oreilles! Le site artscool.ch rassemble tous les épisodes diffusés depuis l’automne 2021. Une collection variée et grandissante! Vous y trouverez aussi les portraits des jeunes aficionadas et aficionados d’art contemporain, les mini bio des artistes interviewés ainsi que les photos des œuvres.
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Le podcast ART’S COOL est réalisé et diffusé grâce au précieux soutien de la Loterie Romande, de la Fondation Ernst Göhner, de la Fondation Françoise Champoud, de la Fondation Leenaards, de la Fondation Oertli, de la Fondation Sandoz, des cantons de Berne, Valais, Vaud.
Interview et voix: Florence Grivel.
Musique et habillage sonore: Christophe Gonet.
C’est une production Young Pods.