Bonjour à tous, je m’appelle Madleina, j’ai 14 ans, je suis en huitième année et je viens de Berne.
Pour moi, l’art est quelque chose de génial, car tant dans la réalisation, c’est-à-dire pour les créateurs, que pour moi en tant que spectatrice, il n’y a ni bien ni mal.
Aujourd’hui, j’ai rendez-vous avec une œuvre d’art de Nina Heinzel.
Tu viens?
MADLEINA: Je suis ici dans le quartier de la Länggass, où je suis arrivée en bus. Maintenant, je vais tout de suite aller voir l’œuvre d’art près de l’école primaire de la Länggasse. Je suis sur un trottoir, il y a beaucoup de maisons tout autour, c’est bien vert et plutôt calme, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de voitures. Et l’ambiance est un peu méditative. Je vais maintenant chercher l’œuvre d’art.
Je viens de la trouver: c’est un cerveau qui se trouve sur le toit de l’école primaire. L’école est assez grande et surtout très large, et au milieu du toit, il y a un cerveau métallique et brillant. Bien qu’un cerveau sur un toit soit quelque chose d’assez peu conventionnel, je ne le trouve pas du tout gênant, car il ressemble plutôt à une décoration, surtout qu’il est posé là de manière très harmonieuse. Et je ne me demande même pas qui a mis un cerveau sur le toit, parce que ça va très bien avec une école. Quand on pense à une école, on pense aussi à un cerveau, et le cerveau est tout en haut de la tête.
Je me demande justement si le cerveau transmet le savoir accumulé aux élèves, ou si le savoir accumulé par les élèves retourne au cerveau pour y être stocké. Je trouve fascinant de voir comment le cerveau s’intègre si bien et on dirait qu’il fait tout simplement partie de l’école.
L’œuvre s’appelle « Einsteins Gehirn” (Le cerveau d’Einstein) et elle est signée Nina Heinzel. Elle a été réalisée en 2014. Elle se trouve sur le toit de l’école primaire Länggasse dans le quartier de Länggass à Berne. La sculpture est une reproduction du cerveau d’Einstein en trois fois plus grand. Elle est faite en bronze.
J’aimerais maintenant poser quelques questions à l’artiste.
NINA HEINZEL: Chère Madleina, j’ai été ravie d’entendre ta description et tes réflexions sur le « cerveau d’Einstein » et je réponds volontiers à tes questions.
MADLEINA: Est-ce que le sens de l’œuvre d’art est associé avec ce cerveau placé précisément sur une école primaire? L’école primaire de la Länggasse a-t-elle quelque chose à voir avec la réalisation du projet, donc de l’œuvre d’art? Ou a-t-elle simplement été placée ici de façon plus aléatoire?
NINA HEINZEL: J’ai conçu et réalisé le cerveau en 2014 pour l’école primaire. Il y avait alors les grands travaux de rénovation de 2013 et, dans ce cadre, un appel d’offres artistique a été lancé. L’école et la Ville étaient concernées et ont invité quelques artistes à faire des propositions d’œuvres d’art pour enrichir cette école. C’est une très grande responsabilité pour un artiste, car à partir de ce moment-là, les élèves sont en contact quotidien avec cette œuvre d’art et l’ont sous les yeux tous les jours pendant des années.
Pour trouver des idées, je me suis rendue dans la cour de l’école, je me suis assise là et j’ai passé une journée à regarder comment le soleil se déplaçait, comment on se sentait en passant du temps dans la cour de l’école. Et puis il y a ce moment merveilleux où une idée apparaît. On a alors presque un peu chaud au cerveau, le ventre picote légèrement. Et d’une certaine manière, le ventre et le cerveau travaillent ensemble tout seuls à ce moment-là. Et puis il faut trouver un moyen de saisir cette idée, c’est un moment très fragile, peut-être comparable aux rêves, quand on se réveille le matin et qu’on a encore le sentiment d’un rêve qu’on vient de faire et qu’on essaie de réfléchir encore une fois à ce que c’était, on le perd parfois si on y pense trop fort. Et parfois, ce rêve se retrouve aussi dans les mots et dans la tête. C’est aussi parfois le cas avec une idée, on a cette intuition et quelque chose se présente, et il faut alors la saisir correctement. Et c’est ce qui m’est arrivé avec le cerveau. J’ai soudain eu le sentiment que c’était exactement ce que j’avais vu à l’école, que ce n’était pas n’importe quel cerveau, mais celui d’Einstein.
Et je trouve que tu l’as magnifiquement décrite, cette interaction qu’il y a probablement. Tu as demandé: est-ce que ce sont les nombreux cerveaux qui reçoivent maintenant les connaissances accumulées, ou est-ce que le cerveau rayonne sur les élèves? Je pense que c’est certainement les deux, c’est cette interaction. Tous ces cerveaux d’élèves entrent également dans le cerveau d’Einstein. Et Einstein, avec sa grande personnalité, rayonne aussi sur les élèves.
MADLEINA: Le matériau a-t-il été choisi délibérément ou est-il simplement particulièrement résistant aux intempéries?
NINA HEINZEL: Le cerveau est en bronze. C’est un matériau très classique pour les sculptures. Tu avais l’impression qu’il s’intégrait harmonieusement au premier coup d’œil, car on trouve aussi de telles sphères sur les clochers des églises. On connaît ça. Mais dans un deuxième temps, on ne pense qu’à un cerveau, c’est plutôt l’exception sur un toit. Mais c’est aussi cohérent quelque part, on dit aussi que le « Dackstübchen » est la tête d’un bâtiment. La bibliothèque est elle aussi logée sous le toit, ce qui est tout à fait cohérent. Et pourtant, est-ce un cerveau, l’image que l’on veut donner d’une école? Est-ce vraiment seulement le cerveau qui constitue les élèves et qui doit être formé? On souhaite en effet que l’homme tout entier soit formé et que la personnalité entière ressorte renforcée de toute cette période scolaire. Dans cette mesure, on peut aussi se demander si un cerveau est la bonne image pour une école. Ou alors, ne devrait-on pas y voir un cœur entier?
Mais ce que j’aime dans cette histoire du cerveau d’Einstein, que je dois raconter brièvement parce qu’elle est passionnante. Voici ce qui s’est passé: Einstein est mort et son souhait était d’être incinéré après sa mort. Mais son pathologiste était aussi son meilleur ami de son vivant et il n’a tout simplement pas eu le cœur de brûler ce gros cerveau, parce qu’il pensait qu’il fallait le conserver pour la science et découvrir comment cet homme avait pu avoir des pensées aussi géniales et voulait en avoir le cœur net. Il a donc volé le cerveau, l’a prélevé, l’a mis dans deux bocaux jetables et s’est enfui avec. Il a roulé pendant des années à travers l’Amérique avec ce cerveau dans le coffre de sa voiture; il a bien sûr perdu sa licence, n’a plus eu le droit de pratiquer la médecine et s’est rendu chez des collègues, leur a présenté ce cerveau et ils ont voulu l’étudier. Il a également essayé lui-même. Mais ce qui est ressorti c’est qu’il s’agit en fait d’un cerveau comme les autres. Il n’était pas particulièrement grand, pas particulièrement petit, un peu rond peut-être. Mais on ne peut pas identifier ce génie dans cet organe. On ne peut pas percer le mystère avec un scalpel.
Et nous voilà revenus à la boule de la tour, sur les clochers. Les boules des clochers portent souvent un secret en elles. Elles ont un petit message, quelque chose enfermé dans cette sphère, qui sera peut-être rouverte dans le futur et qui aura un message quelconque. Le cerveau d’Einstein a bien ce secret, mais il ne peut pas être dévoilé. On ne peut pas l’ouvrir et on sait ce qu’il contient. C’est ce que j’aime dans ce cerveau. C’est simplement un cerveau comme un autre. Il pourrait aussi être celui de n’importe quel élève. Et il faut savoir que c’est le cerveau d’Einstein. Sans cette connaissance, c’est aussi simplement un cerveau normal.
Après avoir volé le cerveau d’Einstein, son ami le pathologiste l’a ensuite rendu à la petite-fille d’Einstein à l’âge de 85 ans — il ne savait pas quoi en faire. Elle aussi ne savait pas quoi faire du cerveau de son grand-père et l’a mis à disposition d’un musée. C’est pourquoi on a ces données. Il a ensuite été scanné. Et à partir de ces données, j’ai fait réaliser une impression 3D du cerveau. On en a ensuite fait un moulage, et c’est ainsi qu’est née la sculpture en bronze. Je pense qu’il s’agit en fait du premier cerveau d’Einstein au monde à avoir été visualisé de cette manière.
Et je trouve particulièrement beau que les élèves de l’école primaire aient maintenant ce cerveau et que ce ne soit pas l’université et les grands penseurs. Mais ce sont les enfants, et ils peuvent vraiment utiliser tout le savoir du monde et ont toutes les possibilités devant eux.
MADLEINA: Et le cerveau est-il une représentation quelconque de l’école ou même une marque de fabrique de cette école? Cette école en a peut-être besoin?
NINA HEINZEL: Quant à savoir si le cerveau pourrait être une sorte de marque de fabrique pour l’école, je laisse les élèves décider seuls. Lors de l’installation du cerveau, j’ai renoncé à donner une explication. Au lieu de cela, j’ai fait un discours lors de la cérémonie d’ouverture et j’ai expliqué aux élèves de quoi il s’agissait. Et à partir de là, c’est leur cerveau, leurs histoires, leurs récits contribuent à ce que le savoir soit conservé. Peut-être que les histoires se modifient et deviennent autonomes, c’est bien sûr permis. Certaines parties de l’histoire seront peut-être un peu plus développées, et là on en revient presque à la théorie de la relativité: le temps aussi, je trouve, est incroyablement relatif dans une cour d’école. Certaines heures d’école sont plus longues que d’autres. Nous connaissons cela. Les vacances d’été nous semblent bien longues au début, et à la fin, elles sont déjà passées en un clin d’œil. Je pense que le pathologiste Thomas Harvey n’a pas conservé le cerveau pendant toutes ces années pour la science, mais en fait pour l’art. Et pour tous les élèves de la Länggasse.
Alors merci beaucoup, chère Madleina, pour ton écoute et ton intérêt. Garde ton regard ouvert et ton amour pour l’art. Je te souhaite le meilleur.
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“ART’S COOL autrement dit “Art is cool”!
C’est un rendez-vous avec une œuvre d’art contemporain suisse regardée, expertisée et questionnée par des jeunes gens auxquels répond à sa façon l’artiste qui a réalisé l’œuvre. C’est simple, non?
Durant cette deuxième saison, notre podcast vous invite à des explorations hors des lieux habituels d’exposition, le plus souvent en plein air! Chaque semaine, ou presque, nous découvrons ainsi ensemble une création artistique située dans l’espace public quelque part en Suisse.
Aujourd’hui, il a été question de Einsteins Gehirn (Le cerveau d’Einstein)de Nina Heinzel, examinée par le regard curieux de Madleina. Ne manquez pas d’aller découvrir en vrai l’œuvre dont il était question à Berne, dans l’école Länggassschulhaus / Muesmatt.
Collectionnons l’art contemporain avec nos oreilles! Le site artscool.ch rassemble tous les épisodes diffusés depuis l’automne 2021. Une collection variée et grandissante! Vous y trouverez aussi les portraits des jeunes aficionadas et aficionados d’art contemporain, les mini bio des artistes interviewés ainsi que les photos des œuvres.
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Avec les voix de Florence Grivel pour la version française et de Stephan Kyburz pour la version allemande.
Musique et habillage sonore par Christophe Gonet.
C’est une production Young Pods.