Salut, je m’appelle Charlotte, j’ai dix-neuf ans, j’habite à Cully.
L’art pour moi c’est une manière d’exprimer ses émotions et de transmettre aussi les émotions aux autres à travers divers matières ou regards.
Aujourd’hui, j’ai rendez-vous avec le peintre Till Rabus dans son atelier de Corcelles dans le canton de Neuchâtel. Tu viens?
CHARLOTTE: J’avais rendez-vous à la gare; il m’a dit que ce n’était pas loin de l’atelier. Donc il faut que je me dirige vers l’atelier: je vais marcher un peu. C’est une rue où il y a pas mal de voitures, mais ça a l’air assez résidentiel. Je cherche la maison… Il me semble qu’il m’a dit qu’elle était vert clair et qu’il y avait des vignes sur le toit… Je crois que je vois les vignes, du coup ça doit être par là.
Bonjour. Enchantée! Charlotte.
TILL RABUS: Bienvenue. Entrez seulement.
CHARLOTTE: Waouh c’est magnifique, ça sent la peinture, ça sent incroyablement bon.
TILL RABUS: Ouais, c’est un grand espace…
CHARLOTTE: Oui c’est un grand espace, avec d’immenses tableaux, je vois.
TILL RABUS: Il y a de plus petits formats vous verrez aussi. C’est une ancienne usine de micromécanique qui date des années trente. Mes parents ont eu le bonheur de pouvoir acquérir le bâtiment dans les années 2000, donc ça fait à peu près ouais ça fait vingt vingt quatre ans que je travaille ici.
CHARLOTTE: On voit qu’il est encore dans son jus.
TILL RABUS: On a essayé de conserver un peu le côté usine du bâtiment, avec ses poutres en métal et tous ces tubes de chauffage.
CHARLOTTE: J’aime bien le fait que ce soit assez vide et qu’il y ait un peu des espèces de petits espaces.
TILL RABUS: Ouais exactement! J’ai mon espace de travail contre le mur ici; tout le reste, c’est un peu des entrepôts de matériel, un petit bureau. C’est vrai que j’ai mon petit canapé aussi mais j’ai encore un espace de bureau ici, où je travaille sur mon ordinateur. Là-bas au fond, j’ai essayé de monter une sorte de petit studio photo parce que je travaille beaucoup la photographie avant la peinture. Il y a des fonds amovibles, tout est sur roulettes, comme ça je peux vraiment modifier l’espace en fonction de ce que j’ai à faire.
CHARLOTTE: Au quotidien, tu utilises tous les matériaux qui sont ici?
TILL RABUS: Ouais à peu près. Mais principalement la peinture acrylique et la peinture à l’huile. Je commence toujours par élaborer les projets de mes œuvres, parce que je fonctionne comme ça. Je travaille beaucoup sous forme d’installation avec toutes sortes d’objets du quotidien qui m’entourent. Puis, je fais des photos dans mon petit studio ou en extérieur; ça dépend si je veux faire du paysage. Ensuite, je crée mes installations que je photographie. Là, j’ai des éclairages flash. Mais parfois je travaille en lumière naturelle, en extérieur. Je soigne bien la prise de vue et l’éclairage. Je fais pas mal de photos puis j’en choisis une que je vais assez peu modifier sur l’ordinateur finalement. Au final ce n’est souvent que du recadrage et des contrastes.
CHARLOTTE: Du coup ça veut dire qu’avec le matériel qu’il y a là-bas, tu vas créer un futur tableau?
TILL RABUS: Oui, exactement. Alors là comme sujet, je traite souvent des sujets qui sont liés un peu à l’histoire de l’art et à la peinture en général. Je travaille souvent sur des natures mortes, sur du paysage, sur du portrait, sur du nu, enfin toutes ces grandes thématiques, que je réactualise un peu; que je remets au goût du jour.
Mais là en l’occurrence, j’ai trouvé des ballons genre aluminium, comme ça, qui représentent des fruits et des légumes, dans un magasin où ils vendent des costumes pour les anniversaires, et pour Halloween et compagnie. Ils avaient toutes sortes de ballons. Et là, j’ai décidé de faire des compositions de nature morte avec ces ballons. Après, c’est tout un processus. J’ai acheté tous les ballons et puis j’ai fait deux compositions, une avec des fruits, une avec des légumes. Puis, j’ai commencé à travailler sur des grands formats, comme ça, parce que j’aimerais que les ballons soient à peu près à taille réelle. Donc ça fait une très grande nature morte.
CHARLOTTE: Et ça représente quoi pour toi la nature morte? C’est quoi qui te touche particulièrement dans ce thème-là?
TILL RABUS: Déjà, c’est lié à des objets et je travaille beaucoup avec des objets. Puis, je me suis vraiment inspiré de peintures qui datent du 15e siècle, que j’ai pu voir dans des musées. Tu vois, au Louvre, ils ont une quantité de natures mortes hallucinante! Les objets varient selon les thématiques; tu as pas mal de fruits et de légumes ou alors des fleurs ou des animaux. Mais ce qui m’intéresse, c’est la symbolique qu’il y a derrière. Souvent, les natures mortes sont des vanités; ça nous rappelle la fragilité de l’existence. Ce sont aussi des mises en scène où on a l’impression que les aliments vont se casser la figure. Il y a ainsi une histoire d’équilibre que je dois aussi gérer dans mon tableau.
CHARLOTTE: Il y a un décalage entre la nature que tu utilises, enfin la réelle nature, et les objets que tu utilises.
TILL RABUS: Je peux vous montrer une série de petits tableaux qui traitent vraiment de ce sujet-là, parce que j’ai utilisé des légumes et des insectes. Il y a toutes sortes d’insectes, mais tout est en plastique. Du coup, ce sont des tout petits formats peints sur des panneaux en bois cette fois-ci. C’est pas de la toile, parce qu’ à l’époque,il y avait pas mal de peintures qui étaient peintes sur panneaux, ça donne un autre effet. J’ai acheté toutes sortes de légumes, de fruits et d’insectes en plastique. On voit que les insectes, les chenilles, les lézards, les petites mouches et tout ça, ils ne sont pas forcément à la bonne taille; on voit une sorte de décalage. Et on voit que c’est du plastique, à cause des reflets.
C’était un pied de nez à cette à cette histoire de vanités. Quand les insectes commencent à apparaître sur un bouquet de fleurs, par exemple, ou sur des fruits, ça signifie la décrépitude des choses, le pourrissement et la fragilité de l’existence. L’ironie, c’est que, vu que tout est en plastique, ce sont des natures mortes éternelles.
CHARLOTTE: Je me suis un peu renseignée sur toi et j’ai lu une définition. Du coup, je vais te la lire et tu vas me dire si ça te correspond ou pas: “Till Rabus porte une attention extrême à la réalité du monde qui l’entoure et pratique avec humour et ironie, une peinture généreuse qui renverse les codes du beau et de l’histoire de l’art.”
TILL RABUS: Oui, c’est très beau.
CHARLOTTE: Mais, au-delà de cette définition, qu’est-ce qu’évoque l’art pour toi?
TILL RABUS: Moi j’ai un peu grandi dedans, parce que j’ai des parents qui sont aussi artistes et ça a vite été une passion. Je pense que l’art, c’est une histoire de transmission. Ce sont d’autres artistes qui nous transmettent leur passion et leur envie de faire. Après, ça devient comme une sorte de nécessité. Au départ, on a envie d’imiter, et finalement à force d’imiter, on arrive à y trouver sa personnalité et à faire quelque chose d’original.
CHARLOTTE: Est-ce qu’il y a un but derrière l’art? Faire rire ou évoquer des émotions chez les gens?
TILL RABUS: Évoquer des émotions, j’en suis persuadé. Faire rire, c’est une histoire de goût et de couleur. Mais c’est vrai que j’ai commencé à m’intéresser à à l’art contemporain presque avant de m’intéresser à la peinture et ce sont des artistes qui ont beaucoup d’humour qui m’ont fasciné depuis le début. J’adore vraiment l’humour dans l’art. Je trouve que c’est salvateur.
CHARLOTTE: Merci beaucoup de nous avoir présenté ton atelier, de nous avoir fait entrer un peu dans ton art et dans ce que tu fais tous les jours. Et à bientôt.
TILL RABUS: Merci Charlotte! Merci pour tes questions et bon courage à toi pour la suite!
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ART’S COOL autrement dit “Art is cool”!
C’est un rendez-vous avec une œuvre d’art contemporain suisse regardée, expertisée et questionnée par des jeunes gens auxquels répond à sa façon l’artiste qui a réalisé l’œuvre. C’est simple, non?
Durant cette troisième saison, notre podcast invite les jeunes à dialoguer avec les artistes dans leurs ateliers, quelque part en Suisse. Chaque épisode vous plonge au cœur de la création artistique à travers deux séquences complémentaires: d’abord une exploration immersive de l’atelier, puis une discussion autour d’un objet intriguant.
Aujourd’hui, Charlotte a rencontré Till Rabus dans son atelier à Corcelles (Neuchâtel).
Collectionnons l’art contemporain avec nos oreilles! Le site artscool.ch rassemble tous les épisodes diffusés depuis l’automne 2021. Une collection variée et grandissante! Vous y trouverez aussi les portraits des jeunes aficionadas et aficionados d’art contemporain, les mini bio des artistes interviewés ainsi que les photos des œuvres.
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Le podcast ART’S COOL est réalisé et diffusé grâce au précieux soutien de la Loterie Romande, de la Fondation Ernst Göhner, de la Fondation Françoise Champoud, de la Fondation Leenaards, de la Fondation Oertli, de la Fondation Sandoz, des cantons de Berne, Valais, Vaud.
Interview et voix: Florence Grivel.
Musique et habillage sonore: Christophe Gonet.
C’est une production Young Pods.