Salut, je m’appelle Charlotte, j’ai dix-neuf ans, j’habite à Cully.
L’art pour moi, c’est une manière de s’exprimer et une manière de ressentir des émotions et de procurer des émotions aux autres.
Aujourd’hui, je suis avec l’artiste Camille Scherrer au-dessus d’Ollon à Forchex. Tu viens?
CHARLOTTE: Alors je ne suis pas réellement dans un atelier, mais devant une table; un peu comme dans un salon, mais à l’extérieur, avec un petit sirop, pour discuter de ton art. Enchantée. Merci de m’accueillir dans ce petit paradis au cœur des montagnes.
CAMILLE SCHERRER: Salut Charlotte. Grand plaisir de t’accueillir à table dans notre dedans/dehors de bout de vieille maison.
CHARLOTTE: [Dans l’épisode précédent], tu nous as fait un peu découvrir ton petit paradis et tu nous as parlé du fait que c’était un peu ton village à toi. Ensuite tu as évoqué les montagnes et j’ai vu aussi que tu avais un potager, que tu faisais du sirop maison… et je voulais savoir si tu faisais un peu tout toi et qu’il n’y avait pas que l’art dans la vie…
CAMILLE SCHERRER: Tu as mis le doigt sur un truc que j’adore, j’adore fabriquer des choses, je fais même aussi du fromage, du vin. J’ai l’impression qu’on peut tout faire, que tout est permis. Il n’y a pas de limite et effectivement j’adore faire plein de choses. Puis nourrir mes filles avec des trucs qui viennent de derrière la maison, c’est vachement chouette.
CHARLOTTE: Tu m’as quand même dit qu’il y avait un endroit où tu travaillais beaucoup, c’était ton bureau en haut et, du coup, j’ai été un peu fouillé et c’est vrai qu’il y a eu beaucoup de choses. J’ai trouvé une petite sacoche avec beaucoup de papiers de couleurs différentes avec des matières différentes. Comme j’ai vu que tu faisais beaucoup de papier découpé, je voulais savoir un peu d’où ça t’est venu et pourquoi ces matières-là et ces couleurs-là? Qu’est-ce que ça t’évoque?
CAMILLE SCHERRER: Oui c’est chouette que tu aies pris ce tas de drôles de papier. Ce sont des espèces de plastique qui s’appellent des flex et des flocages. C’est chouette parce que les nuanciers, avec tous types de couleurs, c’est mon côté designer d’intérieur. Ce que tu as pris, c’est aussi des couleurs mais c’est c’est vraiment mon côté de maman qui prend le dessus. Parce qu’à chaque anniversaire où mes filles sont invitées, elles me disent maman tu peux personnaliser un t-shirt pour une copine. Alors, avec elles, on se met devant l’ordi et puis on essaye d’imaginer ce qu’on aimerait offrir à cette copine et je les amène à dessiner elles-mêmes ce qu’elles imaginent sur le t-shirt de leurs copines. Donc là il y a le rose fluo, il y a les paillettes, il y a le velours, il y a plein de trucs… et c’est drôle parce que tu as tu as mis le doigt sur un truc qui est créatif, mais qui est passé dans mon côté de maman fonctionnelle.
CHARLOTTE: Tu as ton ordinateur aussi sur cette table et c’est quand même deux objets qui n’ont rien à voir: des objets très colorés, des matières et caetera et un ordinateur qui est un peu banal et que tout le monde a… Toi, tu mélanges les deux et tu en fais un métier. Du coup, qu’est-ce que tu fais en ce moment sur ton ordinateur?
CAMILLE SCHERRER: Je travaille un peu sur mon ordi en ce moment, mais pas que. Du coup j’ai pas mal de choses en cours: je suis en train de faire par exemple une expo à Pixies à Lausanne où on fait tourner des énormes pompons avec le Laboratoire et je dois travailler sur des moteurs pour faire tourner ces pompons. Donc là, je fais un petit peu d’électronique: j’adore m’amuser avec des fils et des fers à souder. Mon ordi, je l’aime bien parce qu’il est tout petit; il ne prend pas de place. Dès que je l’ouvre, je peux fabriquer plein de choses puis je peux faire bouger plein de choses ou des images… Vraiment le truc que je préfère au monde c’est prendre mes deux doigts puis d’imaginer comment la biche marche puis après j’essaie de la faire vraiment marcher dans mon ordinateur… puis après, ce sera peut-être sur une projection, sur un bâtiment… Ça sort un peu de la boîte de pandore; pour moi c’est la magie de ces petits ordinateurs.
CHARLOTTE: Est-ce que tu dirais que tes métiers ou en tout cas tes projets se ressemblent? Est-ce qu’il y a une espèce de fil conducteur? Ou est-ce que c’est un nouveau projet et une nouvelle aventure que tu t’offres à chaque fois?
CAMILLE SCHERRER: J’ai toujours assez envie de sauter du coq à l’âne, parce que c’est vrai que j’ai un peu une marque de fabrique mais je me lasse parfois et je peux me dire “ah, on ne va pas toujours utiliser ces biches!” Chaque projet pour moi, c’est un challenge pour tester de nouvelles limites, de nouvelles manières de parler, ou de faire de l’art. Et c’est ça qui me plaît le plus, c’est de pouvoir se permettre de vraiment sauter du coq à l’âne.
CHARLOTTE: Est-ce que tu te considères comme indépendante? Est-ce que ce sont les gens qui viennent te chercher?
CAMILLE SCHERRER: Alors jusqu’à maintenant, j’ai du bol; je n’ai encore jamais dû chercher des projets. J’ai l’impression de surfer un peu sur une vague qui continue. J’ai un peu deux casquettes, c’est un peu particulier je crois, et avec la casquette de graphiste, je fais vraiment du travail de commande. J’ai bossé pas mal dans le luxe, dans des environnements diamétralement opposés à où on est maintenant par exemple. Une vitrine à Hong Kong, ça n’a rien à voir avec ici et mon petit bout de terre avec les poules dans le jardin. J’aime bien ça aussi. J’ai cette casquette où je vais vraiment répondre à des mandats très précis, avec un cahier des charges, avec des besoins. Et puis, il y a des périodes où je travaille par exemple dans un musée, sur une pièce où je peux faire ce que je veux. J’avoue que parfois je suis un peu perplexe quand je peux faire ce que je veux, parce que j’aime bien aussi avoir le challenge d’une commande…répondre à une question, réfléchir à des besoins, réfléchir à des usages, à qui j’ai en face.
Donc, j’ai ces deux casquettes. À la base, je suis beaucoup plus designer. Et puis de temps en temps, ça tourne et je deviens un peu plus une artiste. Mais c’est un peu indépendant de ma volonté, c’est un peu en fonction de ce qui va venir comme vague.
CHARLOTTE: Et toi, si tu avais dû choisir un seul objet peut-être fétiche que tu aurais dans ton atelier, ça aurait été lequel?
CAMILLE SCHERRER: Alors j’aurais peut-être quand même pris deux trucs. J’aurais peut-être pris un moteur, c’est un petit truc qu’on branche qui fait tourner des choses, parce que j’ai l’impression que tourner des choses ça fait tout de suite plaisir. Par exemple, j’ai fait tourner à Bex Arts l’année passée quatorze petits avions, enfin plutôt des grands avions en papier. Ils tournaient simplement et j’avais l’impression d’avoir fait un truc ultra basique, mais il m’avait fait super plaisir et les gens restaient dessous, regardaient… C’était juste de faire tourner quelque chose et c’est étonnant la puissance de faire tourner quelque chose.
Un autre truc, qui parle aussi de mouvement et qu’on va démonter d’ailleurs la semaine prochaine, c’est un banc que j’ai fait, dans un des abribus de la ville de Vevey. On a proposé à neuf artistes de faire ce qu’on voulait d’un abribus; moi j’avais envie de faire un truc un peu caméléon. L’idée était qu’on ne voie pas vraiment qu’on avait fait quelque chose. J’ai pris le le banc qui fait trois mètres de long et où on peut mettre 6 personnes, on l’a démonté puis on l’a suspendu. Du coup, c’est devenu une immense balançoire pour 6 personnes. C’est trop chou de voir les gens qui vont juste se balancer; ils sont même pas sûrs si c’est de l’art mais ils trouvent ça super.
Pour revenir à la question, visuellement un moteur, ça ne paye pas de mine: il y a une prise et des fils électriques et ça tourne quand on le branche, mais il peut révéler quelque chose d’hyper beau et d’hyper subtil et touchant. J’aurais aussi pris un petit chalet suisse: on regarde dedans et on voit des photos de la Suisse. Il est trop joli.
CHARLOTTE: Merci beaucoup pour toutes tes réponses. Je te souhaite tout le bonheur pour la suite et pour tes prochains projets.
CAMILLE SCHERRER: Merci Charlotte, c’est vraiment chouette d’avoir pu discuter avec toi. Je te souhaite plein de beautés, de subtilités, de légèreté et de bonnes choses.
°°
ART’S COOL autrement dit “Art is cool”!
C’est un rendez-vous avec une œuvre d’art contemporain suisse regardée, expertisée et questionnée par des jeunes gens auxquels répond à sa façon l’artiste qui a réalisé l’œuvre. C’est simple, non?
Durant cette troisième saison, notre podcast invite les jeunes à dialoguer avec les artistes dans leurs ateliers, quelque part en Suisse. Chaque épisode vous plonge au cœur de la création artistique à travers deux séquences complémentaires: d’abord une exploration immersive de l’atelier, puis une discussion autour d’un objet intriguant.
Aujourd’hui, Charlotte a rencontré Camille Scherrer dans son atelier à Ollon (Canton de Vaud).
Collectionnons l’art contemporain avec nos oreilles! Le site artscool.ch rassemble tous les épisodes diffusés depuis l’automne 2021. Une collection variée et grandissante! Vous y trouverez aussi les portraits des jeunes aficionadas et aficionados d’art contemporain, les mini bio des artistes interviewés ainsi que les photos des œuvres.
Si vous souhaitez contribuer au rayonnement du podcast ART’S COOL n’hésitez pas à en parler autour de vous, à vous abonner et à lui attribuer cinq étoiles sur votre plateforme d’écoute préférée. Vous pouvez aussi nous suivre sur Instagram, sur le compte young_pods.
Le podcast ART’S COOL est réalisé et diffusé grâce au précieux soutien de la Loterie Romande, de la Fondation Ernst Göhner, de la Fondation Françoise Champoud, de la Fondation Leenaards, de la Fondation Oertli, de la Fondation Sandoz, des cantons de Berne, Valais, Vaud.
Interview et voix: Florence Grivel.
Musique et habillage sonore: Christophe Gonet.
C’est une production Young Pods.