Salut, je m’appelle Lou, j’ai dix-neuf ans, j’habite à Lausanne.
L’art pour moi, c’est la découverte d’autres réalités.
Aujourd’hui, j’ai rendez-vous avec l’artiste Maya Rocha dans son atelier à Cully. Tu viens?
LOU: On est dans l’atelier de Maya Rochat, c’est un immense espace et il y a un endroit particulier qui m’a intrigué. Suivez-moi, je vais vous le montrer! On arrive dans un endroit où il y a l’air d’avoir des produits dérivés, par exemple des casquettes.
On voit une casquette assez colorée, qui ressemble aux tableaux de l’artiste. Je me demande même si c’est des tableaux qui ont été imprimés dessus. Et la question qui me vient maintenant c’est: “art et entrepreneuriat, est-ce que c’est possible?”
MAYA ROCHAT: En tout cas c’est ce que je pratique et c’est comme ça aussi que je me suis rendue indépendante; ça me permet d’avoir une liberté par rapport à d’autres artistes, peut-être, qui travaillent avec des galeries et qui ont une sorte de pression extérieure. Je ne dis pas que ce n’est pas bon, mais moi j’avais envie d’être libre dans mes choix, dans mes mouvements. Et c’est aussi un vrai plaisir.
On peut appeler cela des produits dérivés, mais pour moi c’est un projet qui se joint à un livre qui s’appelle “Living in a painting”. J’avais envie de créer une sorte de réalité alternative; un monde en couleurs avec des vestes, des leggings, des tops, qui permettraient de s’habiller en Maya Rochat, de se mettre dans une installation colorée et de comme disparaître de ce monde gris. Voilà, ça m’amusait de pouvoir créer ces autres mondes haut en couleur et de m’entourer d’objets artistiques que chacun peut avoir à la maison. Un objet d’art dans lequel on puisse se glisser pour regarder la télé par exemple… Et c’est quelque chose que je continue de faire: j’ai envie de d’offrir l’art au plus large public et de faire voyager comme ça mon travail. Avec des tapis de yoga, des livres, des couvertures, des casquettes, des tapis… ça c’est ma nouvelle passion.
Mon idée est de peu à peu sortir l’image du mur et du cadre et de l’amener dans l’espace et dans la vie des gens.
LOU: À quoi ressemblait ta première performance? Et quel est l’endroit le plus fou où tu as fait une performance?
MAYA ROCHAT: Je crois que ma première performance, c’était avec Buvette. C’était à la librairie du Centre Culturel suisse à Paris, je crois mais je n’en suis pas sûre. En tout cas, ce qui est sûr c’est qu’on avait un dispositif beaucoup plus humble que ce que je fais maintenant: il y avait seulement un projecteur et deux ou trois dia projecteurs.
Le highlight de la performance, c’est quand j’ai pu présenter ce travail-là à la Tate Modern, aussi avec Buvette, et là c’était quinze rétroprojecteurs, des toiles au sol et dans l’espace, une hauteur sous le plafond de quinze mètres, des images projetées sur du béton et un public sensationnel. On a comme fait un dans l’espace; c’est vraiment un moment magique et ça me fait des frissons juste d’en parler. Et ça reste pour moi aujourd’hui un moment de ma carrière absolument magique et inespéré; j’avais trente-trois ans quand il s’est donné et je le garde avec moi.
LOU: Tu as l’air de beaucoup travailler avec les énergies, ça a l’air d’être important. Comment tu t’es retrouvée dans ce milieu-là finalement? Est-ce que c’est familial ou est-ce que tu l’as découvert par un autre biais?
MAYA ROCHAT: Je pense que ça je l’hérite de ma mère qui est quelqu’un de très connecté, qui s’intéresse aussi à la pratique du yoga et des choses comme ça. Et aussi du fait que j’ai grandi au contact de la nature. Je suis de base intéressée par ce qui se passe dans l’environnement, je suis consciente, je le ressens, je le vois, j’ai une forme d’empathie avec ce qui m’entoure. Je pense que c’est dû aussi à cette expérience de grandir un peu isolée de la société et du béton dur.
LOU: On peut voir ici au sol le résultat d’une de tes performances, avec ce côté très liquide. Est-ce que le résultat a une importance, ou c’est le processus qui compte pour toi?
MAYA ROCHAT: En performance, ce qui m’intéresse, c’est ce qui est donné à voir, ce qu’on peut ressentir. Forcément, une fois que la performance s’arrête, ce qui va m’intéresser, c’est savoir comment ça sèche, quels sont tous ces mini détails, toute cette micro histoire qu’on va pouvoir extraire. Et c’est là où mon geste reste photographique, c’est-à-dire que je scanne ces images et ensuite je les traite comme une photographie. D’ailleurs je ne fais pas tellement de différence entre peinture et photographie, même si je trouve ça intéressant parfois de donner des clés de lecture pour qu’on comprenne un peu d’où vient le geste. Pour moi, la photographie c’est la réalité; c’est un rapport à ce à quoi on se confronte. La peinture, c’est quelque chose de plus spirituel, de plus éthéré; on est un peu dans la rêverie. C’est un autre espace que de mélanger les deux: je trouve que dans le travail de la performance, fluide, on est entre les deux.
LOU: Est-ce qu’on peut aller maintenant dans ta grotte?
MAYA ROCHAT: Allons-y.
LOU: Il y a une odeur forte de peinture.
MAYA ROCHAT: Ici, c’est effectivement l’espace peinture et j’ai peint cette toile la semaine passée et je pense qu’il doit y avoir encore un petit peu d’odeur. Ce qui me plaît beaucoup avec ce travail, c’est vraiment de travailler en couches et aussi d’être vraiment dans le physique pur. C’est quelque chose qui me détend énormément de pouvoir juste être dans la matière et d’avoir le plaisir de quelque chose d’assez ludique et léger. Il y a une sorte de d’image pré-donnée et je fais un peu un travail de coloriage, donc ce n’est pas comme partir d’une toile blanche et se dire quel grand acte créatif on va pouvoir apposer. C’est plus de dire comment renforcer cette pièce et la faire fonctionner dans l’espace.
LOU: Ça a l’air d’être une démarche un peu plus technique et un peu plus concrète. Dans ce travail-là, par exemple sur cette toile-là, est-ce que tu t’es connectée à quelque chose? Comment est le processus créatif de cette toile-là?
MAYA ROCHAT: C’est l’envie qui m’amène là. Tout d’un coup, j’ai envie de peindre et j’ai juste le plaisir de voir la couleur et c’est ça qui me guide. J’entre dans un moment presque de transe et peu à peu l’image se compose. Finalement c’est une peinture assez naïve, posée au au pinceau. Mon envie, une fois que c’est accroché, c’est de voir la séparation entre la couche derrière, le papier, et par devant la toile imprimée qui elle est plus artificielle. Quand on se déplace, on découvre le motif qui se cache dessous. Et ça c’est quelque chose que j’aime beaucoup dans toutes mes images: offrir quelque chose de l’ordre du déplacement ou de l’expérience où on s’éloigne un peu de l’objet.
LOU: L’œuvre est très grande, comment fais-tu physiquement pour pouvoir travailler dessus?
MAYA ROCHAT: J’adore les échelles. De plus en plus. J’avais le vertige à l’époque, mais maintenant c’est un problème réglé. La première partie, je la fais au sol puis ensuite je la mets au mur pour pouvoir la terminer. En fait, pour moi, ça c’est un petit format. Avec cette technique, la plus grande que j’ai faite, c’était cinq par vingt-cinq mètres. Donc j’ai travaillé sur des échafaudages et ça c’est sportif par contre!
LOU: Tu as dit avant que tu travaillais beaucoup avec l’envie, est-ce que parfois ça arrive que tu n’aies pas envie?
MAYA ROCHAT: Ça m’arrive. Ça fait partie du processus et c’est aussi quelque chose que je dois apprendre: accepter qu’il y a des jours où ça ne va pas. Et puis, si c’est une semaine où on n’a pas envie, c’est important de respecter ça et de se dire que c’est peut-être aussi l’invitation à se remplir, à aller voir d’autres choses. C’est quelque chose que je dois encore mettre en place, car je suis vite un peu agacée avec moi-même quand je n’ai pas tout le temps cette envie justement, parce que je m’estime privilégiée de pouvoir faire ce métier-là. Je crois aussi que le monde dans lequel on vit est très sollicitant; il faut aussi accepter qu’il y a une sorte de de de siphonnage de l’énergie. Et donc ça prend déjà juste du temps pour se dire “j’ai envie d’y aller, j’ai envie d’être encore de bonne humeur aujourd’hui,” et pour ne pas perdre sa sa foi et sa croyance dans le beau.
LOU: Dans ces moments où tu as besoin de te ressourcer, est-ce que tu vas chercher l’inspiration vers d’autres artistes, d’autres œuvres ou dans quelque chose de complètement différent?
MAYA ROCHAT: En partie, ce ressourcement c’est voir d’autres travaux, mais quand on est un peu perdu ça peut être dangereux. Dans ces moments-là, j’ai plutôt envie de lire par exemple, d’aller en nature ou de voir des gens et plutôt de me sortir de cet environnement artistique. Quand l’énergie revient, c’est bien d’aller voir ce que font les autres; ça redonne un peu de fougue. Mais ce qui me repose vraiment c’est de partir ailleurs, je dirais d’être dans une forme de spiritualité. C’est là que je trouve une vraie ressource.
LOU: Toi c’est quoi ton rapport à la reconnaissance par rapport à ton travail?
MAYA ROCHAT: La reconnaissance, évidemment c’est du fuel. Je suis assez honnête avec moi-même sur le fait que sans toute cette reconnaissance que j’ai eu j’ai la chance d’avoir, peut-être que je ne serais pas là aujourd’hui. Et je souhaite d’ailleurs à tous jeunes artistes, et particulièrement aux artistes femmes, de pouvoir grandir et travailler avec ce soutien. J’en ai bénéficié et c’était une grande chance.
LOU: Merci infiniment pour ce moment, c’était super sympa!
MAYA ROCHAT: Merci à toi, reviens quand tu veux.
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ART’S COOL autrement dit “Art is cool”!
C’est un rendez-vous avec une œuvre d’art contemporain suisse regardée, expertisée et questionnée par des jeunes gens auxquels répond à sa façon l’artiste qui a réalisé l’œuvre. C’est simple, non?
Durant cette troisième saison, notre podcast invite les jeunes à dialoguer avec les artistes dans leurs ateliers, quelque part en Suisse. Chaque épisode vous plonge au cœur de la création artistique à travers deux séquences complémentaires: d’abord une exploration immersive de l’atelier, puis une discussion autour d’un objet intriguant.
Aujourd’hui, Lou a rencontré Maya Rochat dans son atelier à Cully (Vaud).
Collectionnons l’art contemporain avec nos oreilles! Le site artscool.ch rassemble tous les épisodes diffusés depuis l’automne 2021. Une collection variée et grandissante! Vous y trouverez aussi les portraits des jeunes aficionadas et aficionados d’art contemporain, les mini bio des artistes interviewés ainsi que les photos des œuvres.
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Le podcast ART’S COOL est réalisé et diffusé grâce au précieux soutien de la Loterie Romande, de la Fondation Ernst Göhner, de la Fondation Françoise Champoud, de la Fondation Leenaards, de la Fondation Oertli, de la Fondation Sandoz, des cantons de Berne, Valais, Vaud.
Remerciements à l’Institut suisse pour l’étude de l’art (SIK-ISEA) pour les sources biographiques des artistes.
Interview et voix: Florence Grivel.
Musique et habillage sonore: Christophe Gonet.
C’est une production Young Pods.